Emilie Pécunia écrit : « J’ai écrit à Roger, en Suisse, en réponse à sa carte postale, je lui ai parlé de moi, de mon fils, des indices que j’avais eu de sa vie à lui, de ses regrets, de mes regrets et puis de comment j’essayais de les compenser en réalisant mes rêves.
J’ai envoyé la lettre et je n’y ai plus vraiment pensé.
Et puis un jour j’ai reçu un courrier.
De sa fille, Antoinette.
Une lettre très émouvante. Elle cherchait à savoir qui j’étais. M’a appris que Roger ne pouvait plus lire avec sa cataracte et qu’au repas de Noël il avait demandé qu’on lui lise ma lettre.
« Ah oui, c’est étonnant. Émilie ? non je ne sais pas, il y a parfois des choses étranges »
Antoinette me dit ensuite qu’ils s’étaient interrogés, elle et son frère, sur cette mystérieuse Émilie et n’avaient trouvé de réponse ni auprès de Roger, qui « vit dans un monde sans mémoire où n’existe que l’instant présent », ni auprès d’aucun de ses proches. Elle s’était mise à imaginer des tas de choses, y compris un lien de sang qui nous unirait, elle et moi…
Cette lettre m’a beaucoup touchée. Accéder à l’inimité de cette famille, les relations qu’ils ont aujourd’hui et la possibilité de secrets anciens … je me suis sentie à la fois mal à l’aise et à la fois toute à ma place.
Qu’est ce que je fais au milieu de ça, est ce que je bouleverse un équilibre fragile, qu’est ce que je fais naitre comme espoir ou questionnement insensé … ? Et puis… peut-être qu’on aurait tous à y gagner qu’un inconnu tape sur l’épaule de nos histoires de famille … ?
« J’ai le sentiment que vos coeurs se connaissent mais que vos vies ne se sont pas rencontrées. De cette sorte de parenté émotionnelle, j’en déduis que vous pourriez être soit ma soeur, soit ma nièce. C’est un peu déstabilisant mais merveilleux aussi » m’a écrit Antoinette.
J’ai décidé de garder l’idée du merveilleux. Même si c’est pas vrai. L’espace d’un moment, quelques semaines entre deux lettres postées, un peu de merveilleux déstabilisant s’est créé.
Ma réponse est partie sous un pli timbré, dévoilant la résolution d’un faux mystère.
Et je suis restée là à me demander à quel point Roger était loin. Loin dans ses pensées embrumées d’alzheimer. Si cette histoire l’avait interrogé autant que sa fille ou bien si il l’avait rangé dans les choses étranges sans demander son reste.
Je me suis demandée comment les éclairs de mémoire t’avaient permis d’accéder à ses souvenirs lointains.
Je me suis demandée si il t’avait raconté des choses qu’Antoinette ne connait pas.
Je me suis demandée à quoi ça tient. Les souvenirs. Les récits de ces souvenirs. L’écoute de ces récits. Et ce qu’on garde de ces écoutes.
Je me suis demandée à quoi ça tient de créer des choses étranges et du déstabilisant merveilleux. »