L'Inutile - Vassincourt (55)

Nous poursuivons notre travail de découverte du territoire de la COPARY, Communauté de communes du Pays de Revigny-sur-Ornain, là où tout à commencé pour L’Inutile…

Après Neuville-sur-Ornain (premier numéro de la collection), Couvonges (n°21), Sommeilles (n°23), Andernay (n°37/38), Rancourt-sur-Ornain (n°68/69), c’est au tour de Vassincourt de recevoir la visite des journalistes de L’Inutile : avec Karim, nous découvrons une chouette tribu. Un conseil municipal investi, une ancienne libraire bibliothécaire, un bricoleur de génie, et, bien entendu, le célèbre « trio de la verveine » : Suzel, Josée et Monique.

 

UTOPIE HEUREUSE

BIDONVILLE PALACE

Souvent qualifié de rêveur, de marginal, de feignant, Cédric Claude assume simplement un modèle de vie différent. Féru de récup, bricoleur aux mains d’or, il façonne son parcours comme ses œuvres, au petit bonheur la chance.

 

Pralines aux orties

 

Le terrain qu’occupe Cédric à Vassincourt, derrière la plaine de jeux, est délaissé depuis cinq ans, si bien que le lopin de terre a aujourd’hui des allures de fête foraine fantôme, envahi par les orties. Devant la grille, une baraque à churros, construite par l’intéressé à partir de la carcasse d’une vieille caisse d’auto-tamponneuse, achève de pourrir. Dans le jardin, une yourte dont la toile a été taillée dans de la bâche de camion, des cabanes, un amoncellement de brol, des outils… Au-dessus de l’entrée, une pancarte indique la couleur, crevant de rouille : bienvenue à « Bidonville Palace ».

Bidonville Palace ou le paradoxe comme art de vivre. Le style de Cédric est peu académique, on ne peut le caractériser qu’en ayant recours à l’antinomie : doux art brut, néo-vieillot, Mad Max Bollywood… Un écrin bancal pour une vie plus-que-normale. « Tout va trop vite dans la vie, moi j‘ai décidé de prendre le temps. » Aux autoroutes, Cédric préfère les chemins blancs. La lenteur, le hasard et la rencontre comme vertus cardinales. Retour à la terre, savoir se contenter des quantités nécessaires.

Un peu clown, un peu marionnettiste, un peu maraîcher, moniteur à l’ESAT voisin, vrai dresseur de cacahuètes : pendant des années, l’original a vécu de la vente de pralines, dans les foires, les festivals, les grands évènements, à Bruxelles, Marseille, en Ardèche, dans la Drôme. Son stand phare s’appelait « Cucul la Praline » ; sur le flanc de sa baraque à churros, il a inscrit le slogan : « Fais pas de chichi. »

Aujourd’hui, Cédric s’est rangé, fini le colportage. Il a crié « praline », pour qu’elle revienne, en vain. Plus envie. Son terrain est à vendre.

Moto-culture

 

Place au voyage. À l’approche de la cinquantaine, le bricoleur ressent une gêne au niveau de la vue. Il perd de l’acuité, un voile opaque trouble masque sa vision. Il consulte, s’entend dire que les canaux du fond de son œil sont poreux. Il va devenir aveugle. Sa réaction ? Partir à l’aventure. « J’vais aller m’en foutre plein les mirettes avant que le rideau ne se ferme. » Il improvise un tour de France à vélo, accompagné par son chien « Blaireau », un border collie déjà baptisé quand il l’adopte, et « Mimine », le chat. Quatre mois et demi de voyage.

Sur son chemin, à hauteur d’Avignon, il croise une famille d’arracheurs de feu, qui parvient à stopper sa dégénérescence. Un rebouteux de ses amis achèvera de lui retaper les quinquets, en cinq séances seulement, et par téléphone. Cédric respire le nomadisme : « Ce qui nous anime vraiment, c’est la sincérité des rencontres, les rapports vrais. Se demander ce qu’on va trouver après le prochain virage. Tiens, regarde, j’ai les poils rien que de t’en parler. »

Septembre 2024. Cédric est occupé à préparer son prochain départ en fabriquant un attelage improbable, son chef-d’œuvre, une chimère mi-motoculteur, mi-roulotte bohémienne. Uniquement composée d’objets de récup, évidemment : siège de Fiat Uno couvert de cuir, bidons américains de la Seconde Guerre, sacoches en cuir de la SNCF, rideaux en housse de canapé, et même un poêle à bois bricolé dans de l’inox. Bien sûr, il nous fait penser à Alvin Straight, le héros d’Une Histoire vraie, le fim de David Lynch, qui raconte l’histoire – véridique – d’un homme qui a effectué un périple de 251 milles (404 kilomètres), de l’Iowa au Wisconsin, au volant d’un tracteur tondeuse pour se rendre à l’enterrement de son frère. Sa carriole est aussi l’écho moderne et bidouillé des chariots des pionniers du Far-West, à une nuance près : ici, la seule frontière qu’on repousse est celle de l’altérité.

Une idée de destination pour sa nouvelle monture ? « Ça ne m’intéresse pas de savoir où je vais demain. » Compris.

Ce que véhicule Cédric, c’est l’art du voyage en soi. Toutes les routes mènent au rhum, pourvu qu’on ait bricolé sa roulotte.

La rencontre

À l’image du jeune et prodigieux T.S. Spivet, Cédric croise des personnages qui vont l’aider, l’enrichir, le faire marrer – dans tous les cas, l’aider à avancer – au cours de ses pérégrinations. Il ne compte plus les actes de partage et de générosité, les fois où il s’est vu proposer un café, un repas, un lit. Il se remémore le fêtard complètement ivre qui, à quatre heures du matin, du côté de Sedan, tambourine à la porte de son fourgon pour le réveiller. Voilà l’oiseau de nuit qui braille : « Je me suis engueulé avec ma femme, je suis à la rue ! Je suis trop bourré pour monter ma tente, viens m’aider ! ». Cédric s’exécute de bon cœur, plante la canadienne, boit encore quelques coups, refait le monde. Le lendemain, l’infortuné remercie notre marchand de pralines en lui offrant une batterie de bagnole… et un chat.

Tel père, tel fils. À l’heure d’imprimer ce journal, Téo, le rejeton de Cédric, boucle un périple de plus de 1 000 km effectué à pied à travers les Vosges, la Savoie, la Loire, via Toulouse, Nevers…

La nécessité de l’inutile

Cédric dit être en accord compet avec l’esprit de notre journal : « Je me sens parfaitement inutile. Je sers juste à faire rêver les autres. » Un voyageur en route pour le pays du rêve, désintérêt en bandoulière… Lorsqu’il lance, à propos de sa machine : « Il me reste encore l’essieu à changer », on entend « les cieux », et on l’encourage bien volontiers.

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